dead man walking.
Revenge is not a noble sentiment, but it is a human one.
juin 2005, New York City. « It's just recreational. »
« Ama… » L’écho lointain d’une voix familière résonnait dans son esprit.
« Ama ! Ama, réveille-toi. » Amalia ouvrit brusquement les yeux. Elle avait l’étrange sensation d’étouffer dans la sérénité la plus totale. Sa concentration se posa quelques instants sur sa respiration; elle était lente et superficielle, comme si son cerveau oubliait d’ordonner à son diaphragme de se mobiliser.
« J’aime pas quand tu fais ça. » Il désigna d’un regard le pli de son coude criblé de points d’injection tout en repoussant la seringue usagée qui gisait sur le sol. Un filet de voix éraillé s’échappa des lèvres de la jeune femme.
« Tout va bien Finn, c’est seulement récréatif. » Les syllabes de ce mot à rallonge semblaient rebondir sur les parois de son cerveau.
« Est-ce que tu t’amuses vraiment ? » Elle tenta de lui renvoyer un regard triste mais ses muscles refusaient de se contracter. Le silence s’installa. Amalia se laissait bercer par la douce et rassurante chaleur qui l’enveloppait. Elle sentait à peine l’inconfort du carrelage froid sous ses cuisses nues. Quelques songes traversaient furtivement son esprit mais aucun ne s’y attardait, ils filaient sans se laisser happer par l’engrenage de ses angoisses. Tout n’était que calme et lumière. Amalia s’approcha de Finn jusqu’à sentir le contact de sa peau contre la sienne puis posa sa tête contre son épaule. Quelques secondes passèrent, quelques minutes peut-être jusqu’à ce qu’il rompe le silence.
« A quoi tu penses ? » La brune répondit sans réfléchir.
« Ca fait dix ans aujourd’hui. Mon père est mort il y a dix ans. J’ai du mal à me rappeler du son de sa voix. C’est… flou, tu vois ? Les détails m’échappent. » Le sourire inadapté que l’on devinait au coin de ses lèvres trahissait son extase.
« Il te manque ? » Amalia marqua une longue pause, laissant quelques souvenirs prendre le chemin de son conscient alors qu’elle tentait de sonder son esprit.
« Si tu veux vraiment quelque chose, prends-le. Amalia, écoute-moi attentivement. Si tu ne te bats pas dans la vie, tu n’auras que les miettes. C’est ce qu’il m’a dit le jour où mon frère a volé ma poupée préférée pour qu’elle serve d’esclave à son Action Man. Il m’a pris dans ses bras, il m’a embrassé sur le front et il m’a dit ça. Comme s’il s’agissait de mots d’amour. » Finn lui prit la main, leurs doigts s’entrelacèrent. Il comprenait. Il était le fils d’un pilier de l’Irish Mob. C'était son père qui vendait la came qui coulait dans ses veines. Ils avaient eu la même enfance, la violence et l’omertà avaient laissé sur eux des marques indélébiles. Lorsqu’elle plongeait ses yeux dans les siens, Amalia y reconnaissait ses propres failles, comme dans un miroir brisé. Leurs clans respectifs se livraient une guerre sans merci depuis toujours. On leur avait appris à se haïr, le lien qui les unissait n’en était que plus fort. Les deux amants maudits savaient au fond d’eux-mêmes que leur histoire ne pourrait se terminer autrement que dans le sang et les larmes. Ce n’était pas le père d’Amalia qui aurait prétendu le contraire.
« Je ne crois pas qu’il me manque, j’aimerais juste retrouver le son de sa voix. » La brune soupira doucement et laissa le sommeil s’emparer de sa conscience. Elle ne pensa même pas à ce cauchemar qu’elle faisait si souvent. Elle y voyait le sang de son premier amour se répandre sur sa belle robe blanche, au son des cloches carillonnantes. Peut-être que ces images d’horreur ne viendraient pas troubler ses rêves ce jour-là. Il n’y avait guère que l’héroïne pour lui faire oublier que, dans un mois à peine, elle serait mariée.
JUILLET 2006, NEW YORK CITY. « there will be no next time because next time, you won’t wake up. »
La conscience de la jeune Amalia émergeait du néant. Ses perceptions se distinguaient peu à peu de l’enveloppe cotonneuse dans laquelle elle semblait flotter. Il y avait ce son électronique qui percutait son tympan à intervalle régulier. Il y avait le contact des draps froissés et humides sur sa peau. Il y avait cet étrange picotement entre ses deux côtes et cette sensation lancinante qui, à chacun de ses mouvements respiratoires, prenait les caractéristiques d’une douleur à la frontière de l’insoutenable. La lumière vint frapper sa rétine à travers ses paupières closes. Amalia ouvrit les yeux, elle reconnut autour d’elle le décor d’une chambre d’hôpital. Sur un fauteuil dans le coin de la pièce se dessinait la silhouette de son oncle.
« Bonjour stellina. » L’homme se leva lentement. Lorenzo Giacometti était un personnage imposant, bien que ce fut davantage par son charisme que par sa stature. Il était toujours affublé des costumes les plus élégants, coiffé avec une précision millimétrique et rasé de près. Amalia se redressa brusquement dans son lit tout en prenant une grande inspiration. Une violente sensation de coup de poignard la déchira soudain de l’intérieur. Son visage se vêtit d’une grimace et ses ongles vinrent s’enfoncer dans la chair de sa cuisse.
« Ne respire pas trop fort, tu as trois côtes cassées. L’une d’entre elles a perforé ton poumon. » Amalia remarqua avec effroi le tube qui sortait de son thorax et qui venait se drainer dans un bocal en plastique rempli d’un liquide hématique bulleux. Le choc vint dissiper le brouillard qui embrumait son cerveau mais derrière le voile, il n’y avait qu’un écran noir. Elle n’avait pas la moindre idée de la manière dont elle avait atterri ici. Elle tenta d’interroger son oncle mais il lui fut impossible d’ouvrir la bouche. Sa langue vint parcourir l’intérieur de sa cavité buccale et se heurta à des reliefs au goût métallique participant vraisemblablement à un dispositif qui la maintenait en occlusion dentaire permanente.
« N’essaye pas de parler. Ta mâchoire est fracturée, ils t’ont mis de la quincaillerie là-dedans. Tu vas être obligée de te taire et d’écouter pour une fois. » Giacometti se fendit d’un éclat de rire tout en s’approchant de sa nièce. Il se pencha sur elle et lui caressa les cheveux. Sa voix était douce, ses gestes délicats. Il n’avait guère besoin de démontrer une quelconque autorité, tout le monde savait de quelles atrocités cet homme était capable.
« Je leur avais pourtant dit d’épargner ton beau visage mais, qu’est-ce que tu veux, tu connais les gars… ils se sont laissés emporter. Il faut dire que tu ne leur as pas facilité la tâche. » Il recula, laissant à nouveau échapper quelques éclats de rire.
« Ils t’ont bien amochée ma pauvre. En y réfléchissant, ce n’est peut-être pas un mal. En te promenant avec cette gueule, aucun de ces putains d’irlandais n’aura envie de faire de toi sa catin pendant un bon moment. » Giacometti fixa sa nièce de se yeux noirs, son air amusé avait disparu pour laisser place à une redoutable sévérité. Un frisson glacé traversa la jeune femme et pendant quelques secondes, ce fut comme si son coeur avait oublié de battre. Finn. Une atroce image s’échappa de sa mémoire refoulée. Comme dans ce rêve qu’elle faisait autrefois, elle y voyait le sang de son premier amour se répandre sur sa belle robe blanche. Pas celle de son mariage, celle qu’elle portait la veille. L’angoisse, la panique et la douleur se mêlaient en elle. Son esprit conscient refusait de l’admettre mais son corps savait. Il ne pouvait en être autrement. Sa liaison avec un membre de l’Irish Mob représentait un double affront, adultère et trahison. Si la famille avait été mise au courant de leur relation, il n’y avait aucune chance pour que Finn soit encore en vie. Lorenzo Giacometti changea à nouveau de ton, adoptant une attitude paternaliste, presque affectueuse.
« On fait tous des erreurs, stellina. Jésus nous enseigne le pardon et la famille a toujours suivi le chemin du Christ. Tu as de la chance, ton mari fait partie des miséricordieux. » Le caporegime se signa puis se pencha sur le lit d’Amalia jusqu’à ce qu’elle puisse sentir son souffle sur sa peau. Il se durcit soudain, son visage n’exprimait qu’une forme pure de violence.
« Tu as sali l’honneur de notre famille, tu as sali l’honneur de ton père. La prochaine fois que tu poseras ne serait-ce qu’un regard sur un de ces salopards d’irlandais… il n’y aura pas de prochaine fois, car la prochaine fois, tu ne te réveilleras pas. » L’alarme du scope s’affolait, témoin de la tachycardie qui faisait palpiter son coeur. Condamnée au silence, Amalia se contentait de serrer les dents. Une larme vint s’échouer sur les contours de son visage tuméfié. Giacometti posa un baiser sur le front de sa nièce puis se redressa.
« Ciao stellina. Repose-toi bien. » Il posa une photographie face cachée sur la table puis prit congé, laissant derrière lui la jeune femme transie de stupeur.
JUILLET 2007, PALERME. « Ciao zio. Rest well. »
Trois-cent soixante-cinq jours. Cela faisait trois-cent soixante-cinq jours qu’Amalia se comportait en épouse docile, soumise, dévouée. Volontairement recluse dans sa demeure, elle se laissait brimer, violenter, abuser en silence sans montrer le moindre signe d’indignation. Les hommes du clan voyaient en elle un exemple parfait du bien fondé de leurs « méthodes éducatives ». Elle était de celles qu’ils étaient parvenus à briser, à fondre dans leur modèle de la femme parfaite. Amalia savait pourtant qu’à l’issue de ces trois-cent soixante-cinq jours, elle serait libre. Quoi qu’il advienne.
Il était huit heures à peine mais le soleil cuisant de la Sicile tapait déjà violemment sur les terres brûlées qui s’étendaient à perte de vue autour de l’ancestrale propriété familiale. Amalia laissa son regard vagabonder quelques instants au delà des balustrades du balcon de sa chambre à coucher puis regagna l’intérieur de la pièce. Son mari étendu sur le lit ouvrit les yeux et frappa deux fois sur le matelas. La jeune femme comprit aussitôt le message. Elle tira les rideaux et fit glisser son pardessus qui vint s’échouer sur les carreaux en terre cuite. Dino Albrizio était terriblement prévisible en matière de sexe. Il lui fallait sa dose quotidienne, dix minutes matin et soir. L’acte se déroula comme à l’accoutumée, de manière brutale et mécanique. Dino avait l’orgasme solitaire. Lorsqu’il eut terminé, il s’écarta de sa partenaire pour savourer la petite mort en paix. Amalia profita de l’état de transe de l’homme pour glisser doucement sa main droite sous son oreiller. Elle enfourcha ensuite son mari et attendit quelques instants qu’il ouvre les yeux, elle voulait qu’il la regarde.
« T’as pas vu que j’ai fini ? Va me faire un café. » La jeune femme esquissa un sourire. Pour la première fois depuis un an, le feu de la vengeance brûlait ostensiblement dans ses yeux. Une fraction de seconde plus tard, sa main gauche vint se plaquer sur la bouche de Dino et sa dague traversa sa carotide. Le geyser de sang qui jaillit alors de son cou lacéré vint repeindre le visage de la brune. L’homme était dans un état de relâchement musculaire tel qu’il se débattait à peine, il suffisait à Amalia d’utiliser le poids de son corps pour le maintenir immobile. Quelques geignements rauques parvinrent à franchir la barrière de ses doigts mais cela ne l’inquiétait guère, personne dans la maisonnée ne s’étonnerait d’entendre Dino Albrizio gémir à cette heure-ci. Son agonie ne s’éternisa pas. Le sang cessa brusquement de gicler de la plaie. C’est ainsi qu’en un instant, Amalia devint veuve. Elle quitta le lit maculé de rouge, essuya sa dague sur les draps écrus puis passa dans la salle de bain attenante où elle se lava et revêtit un jean et une tunique suffisamment ample pour dissimuler le revolver armé qu’elle coinça à sa ceinture. La jeune femme quitta la chambre en fermant derrière elle la porte à clé puis se dirigea vers le bureau de son oncle.
Lorenzo Giacometti était entouré de ses sbires, comme à son habitude. Assis sur un fauteuil en cuir brun, il fumait le cigare. Il invita sa nièce à entrer d’un signe de tête.
« Il faut que je te parle. Seul. J’ai une nouvelle à t’annoncer. ». Amalia feignait l’enthousiasme. Sa voix s’était enrobée d’un voile d’exaltation et elle faisait semblant de réprimer un sourire. D’un geste, Giacometti chassa sa garde rapprochée. Lorsqu’ils furent enfin seuls, la jeune femme fit quelques pas vers lui. Il se laissa approcher sans crainte, il la considérait après tout comme une femmelette inoffensive.
« Je… Je suis… » Amalia prit une profonde inspiration. D’un geste brusque, elle dégaina son arme et la braqua sur son oncle.
« Je suis là pour te tuer. » Giacometti haussa les sourcils puis éclata d’un rire plus sincère que nerveux.
« Stellina, stellina, stellina… Tu crois vraiment que tu es capable de tuer qui que ce soit ? » Il fit claquer sa langue sur son palais tout en hochant la tête de droite à gauche. Il était tellement sûr de lui qu’il ne prit pas la peine d’attraper son pistolet qui traînait sur la table. Amalia trembla à peine lorsqu’elle pressa la gâchette. Deux balles vinrent cribler l'artère subclavière droite et la rate du sicilien qui s’effondra au sol. Une intense et jouissive satisfaction s’empara de la brune lorsqu’elle vit les yeux du patriarche s’emplir de peur et d’incompréhension. De l’autre côté de la porte, une fusillade éclata. La jeune femme avait des complices infiltrés dans la maison, elle s’était alliée à une famille rivale qui voulait la tête de Giacometti depuis une éternité. Le moment de fuir était venu. Il lui restait néanmoins un détail à régler. La brune rangea son revolver et sortit de sa poche une photographie cornée. On y distinguait le corps sans vie et mutilé de son ancien amant gisant à moitié nu dans un fossé. Comme trois cent soixante-cinq jours auparavant, la vision de ce cliché raviva en elle les souvenirs de cette nuit d’enfer où ils avaient tous deux subi les pires atrocités. Elle entendait encore les os de Finn se briser sous les coups de Dino. Amalia regarda l’espace de quelques instants son oncle se vider de son sang, savourant le goût de la vengeance assouvie. Elle jeta enfin la photographie aux pieds de la légende déchue avant de s’évaporer.
« Ciao, zio. Repose-toi bien. » FEVRIER 2011, SEATTLE. « You're like fucking ivy. »
«
… –
Amalia ? –
Hi Reaper, it’s been a while ! –
Fuck ! How did you get away ? I saw the damn car, I saw you in it, it was torched to ashes ! –
How did you get this number ? –
I guess I’m good at what I do. –
Not good enough, obviously… –
You won’t ever die, will you ? You’re like fucking ivy. You make my life a living hell. –
That’s BS. I know I’m the highlight of your day, Reap’. –
Shut up… –
Bye Reaper. »
La brune décolla le téléphone de son oreille, raccrocha d’un geste de l’index puis soupira longuement. Accoudée à la rambarde du Fremont Bridge, elle regarda un instant la lune scintiller dans le ciel noir. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait échappé à la mort. Après l’assassinat de Lorenzo et Dino, le parrain de la famille avait envoyé ses meilleurs hommes à ses trousses. Bientôt cinq ans plus tard, il n’en restait plus qu’un. Reaper faisait partie de sa vie, elle s’était presque prise d’affection pour lui. Il n’était qu’un pion dans l’échiquier, après tout. La jeune femme tendit son bras et laissa le portable plonger dans les eaux glacées du Fremont Cut.
Mai 2014, Steel Horse Roadhouse, Houston. « Brain or Heart ? »
« Ivy, une cliente pour toi. » La brune passa un ultime coup de torchon sur le bois du comptoir puis releva les yeux vers la cliente en question. Il s’agissait d’une femme d’âge moyen à la silhouette mince et au visage pâle, creusé de cernes, encadré par une tignasse blonde aussi sèche que de la paille rassemblée en un chignon négligé. Ce n’était pas la première fois qu’elle franchissait les portes de son bar. Ivy s’adressa à son collègue tout en caressant la tireuse à bière.
« Je prends ma pause. Prends bien soin de mon bébé pendant mon absence. » La brune passa de l’autre côté du comptoir et invita la jeune femme à la suivre. Elles s’installèrent au fond de la salle.
« Alors, vous avez réfléchi ? » La blonde regarda nerveusement autour d’elle. Ses mains tremblaient.
« Je… Je veux que ce soit rapide, je ne veux pas qu’il souffre. Il faut juste que ça s’arrête. » Ivy hocha lentement la tête, presque déçue.
« Revolver, donc. » Elle préférait officier à l’arme blanche, elle trouvait cette méthode plus artistique. Il fallait toutefois respecter la volonté du client. Son interlocutrice opina du chef en guise de validation tout en replaçant nerveusement l'une de ses mèches derrière son oreille. Ivy remarqua le large hématome sur son avant-bras, à peine dissimulé par la manche de son pull. Quelques secondes s’égrenèrent.
« Vous l’aimez encore, je me trompe ? » La blonde détourna le regard, on devinait quelques larmes perler au coin de ses yeux. Ivy recentra la conversation, elle n'était pas psychologue après tout.
«
Le cerveau ou le coeur ? –
Pa… Pardon ? –
La balle, dans le cerveau ou dans le coeur ? »
La cliente prit une profonde inspiration avant de répondre d’une voix presque déterminée.
« Le coeur. » OCTOBRE 2016, Opelousas. « You really want something ? You just take it. »
« Où est le tank, Brian ? » Ivy faisait tournoyer sa dague entre ses doigts, ses bottes bien ancrées au milieu du terrain vague boueux qu’elle semblait dominer. Derrière sa silhouette élancée s’érigeait un mur de flammes. Opelousas était à feu et à sang. Des cris et des pleurs s’élevaient dans les airs, étouffés par le bruit des puissants moteurs des bolides des Horsemen. La brune fixait l’homme à genoux et les poings liés qui lui faisait face. Ce dernier esquissa un petit sourire insolent.
« Quel tank ? » Ivy pencha la tête. Elle était de bonne humeur ce jour-là, elle pouvait se permettre de lui accorder le bénéfice du doute.
« Juste avant que mon pote Rocket ici présent ne lui explose la cervelle, ton ami Hank lui a dit que vous reviendriez nous faire notre fête avec… qu’est-ce qu’il a dit Rocket ? Le Tankalousas ? » La brune jeta un regard amusé à son comparse. Elle ne put réprimer un rire cristallin qui vint fendre l’air. Ces types avaient de l’esprit, il fallait le reconnaître. Elle reporta son attention sur l’homme qui semblait bien décidé à rester muet. Elle pouvait aisément voir sa mâchoire se contracter. Ivy s’approcha de lui, lui attrapa le menton et fit basculer sa tête en arrière.
« Si tu ne te sers pas de ta langue, tu ne verras pas d’inconvénient à ce que je te la coupe ! » Brian releva les yeux vers la jeune femme et tenta de la traverser de son insupportable regard de martyre.
« Je ne dirai rien. Plutôt mourir debout que de vivre à genoux. » Ivy repoussa violemment l’homme qui vacilla quelque peu. Elle fit un pas vers son camarade horseman et lui lança un regard irrité.
« Putain Rocket, de tous les demeurés de ce foutu camp, il fallait que tu me ramènes un putain d’idéaliste. » Ivy avait pour ces êtres qui prétendaient être les gardiens désintéressés d’une soi-disant morale noble et transcendante le plus grand des mépris. Elle haïssait encore davantage ceux qui se disaient altruistes. Les hommes étaient tous les mêmes, ils passaient leur foutue existence à courir égoïstement après le plaisir, quelque soit sa nature et le chemin que prenne cette quête. Si sauver la veuve et l’orphelin, le faible et l’opprimé ne procurait aucune satisfaction, il n’y aurait pas de héros sur cette terre. Si Ivy avait par le passé libéré des dizaines de femmes du joug d’un mari violent, elle ne s’était jamais targuée d’être une justicière. En ôtant la vie de ces ordures, c’était Dino, c’était Lorenzo qu’elle tuait à nouveau. La vengeance était une drogue au goût bien plus extatique que la meilleure héroïne du monde. Egoïsme, jouissance, violence et loi du plus fort. Voilà les traits de l’humanité telle qu’Ivy l’avait toujours connue et cette humanité ne s’était jamais perdue. Au contraire, l’apocalypse l’avait révélée sous sa forme la plus brute. La fin du monde avait levé le voile sur ce que la brune avait compris depuis fort longtemps déjà. Brian jouait au dur car se prendre pour un martyre le faisait bander. Nul besoin de citer du Camus pour prendre de la hauteur, ses intentions profondes n'avaient rien de nobles, qu'il en soit conscient ou non. Il était temps que cesse l’hypocrisie. Une nouvelle recrue vint soudain troubler la fête, surgissant de nulle part.
« Rôdeurs en vue. Il faut qu’on se casse. » Ivy hocha la tête. Elle s’approcha à nouveau du captif tout en dégainant sa dague du fourreau qu’elle portait à la ceinture. Le temps était venu d’en finir. Elle n’avait pas besoin d’un tank après tout. Elle s’adressa au condamné d’une voix douce, au seuil du murmure.
« Qu’est-ce que tu penses de mourir à genoux, Brian ? » La brune ne lui laissa guère le temps de la réflexion. Sa dague vint se planter dans sa jugulaire.
Ivy quitta ensuite les lieux pour aller retrouver sa bécane. Alors qu’elle essuyait quelques traces de boue sur la carrosserie, elle entendit des bruits de pas derrière elle. La brune se retourna promptement pour trouver face à elle une gamine d’une dizaine année qui la prenait en joue avec un 9 millimètres.
« Vous avez tué mon père. » Ivy soupira tout en haussant les sourcils.
« Peut-être. » S’agissait-il de Brian ? S’agissait-il d’un autre ? Cela n’avait guère d’importance à ses yeux. La brune ne pouvait toutefois s’empêcher de ressentir un pincement au coeur lorsqu’elle assistait à ce moment si particulier où s’envolait l’innocence d‘un enfant. Elle se rapprocha de la jeune fille, la provoquant du regard.
« Vas-y, petite. Appuie sur cette foutue détente. Fais ce que t’as à faire. » La gamine semblait en proie à une intense lutte interne, quelques larmes venaient s’échouer sur ses joues pâles. Ivy laissa s’écouler quelques secondes puis vint arracher l’arme des mains de l’enfant. Elle soupira en remarquant qu’elle n’était même pas chargée. La brune fixa la gamine. L’on pouvait presque lire de la compassion nimbée de tristesse dans son regard.
« Si tu veux vraiment quelque chose, prends-le. » Ivy rangea le pistolet dans son sac, enfourcha sa moto puis disparut dans un concert de vrombissements, laissant dernière elle les flammes et la désolation.
TO BE CONTINUED