Pour les gamins comme Dim, la vie n’était pas compliquée. Il avait la chance d’être entre les murs protégés de la petite ville. Évidemment, les règles étaient chiantes mais nécessaires. Ou pas ? Il s’en fichait. De son côté, il préférait les suivre même si sortir tard le soir, rentrer tard le matin, boire et s’amuser lui manquait. Vu les conditions actuelles, la vie ne pouvait pas être aussi cool qu’elle l’était avant. Lorsque les gens mouraient, ils mouraient vraiment, ils ne revenaient pas pour essayer de bouffer les vivants. Pour un fan de jeux comme Resident Evil, c’était un peu ironique. Il aurait préféré le jeu reste une simple fiction… mais là, ce n’était plus le cas. Il ne savait pas comment ça avait commencé… Une expérience scientifique ? Une arme biologique ? Ou une tout autre chose ? Au fond, vu la gueule qu’avait le monde actuellement, ce n’était pas si important de savoir « comment », il avait fallait juste rester en vie. Alors pas question pour Dimitri de sortir de la ville donc pour ça, il devait respecter les règles mises en place. Et la boucle était bouclée. Et puis, il avait un rôle pas trop pénible, bosser au café avec sa cousine, il y avait largement pire comme tâche. Aussi, il avait encore des loisirs et des amis. De quoi relativiser sa chance et son karma. Il y avait bien plus à plaindre que lui et il tâchait de ne pas l’oublier. Et puis, le fait qu’il vive dans le déni en ce qui concernait son père l’aidait aussi à relativiser. Même si ce n’était pas la meilleure chose à faire.

Il était donc chez lui. Cette maison qu’il avait toujours connue et qu’il avait la chance d’habiter encore. Une chance de plus : il était chez lui, dans sa ville, dans son monde. Et sa chambre avait toujours l’air d’une chambre de jeune homme normal, rien à voir avec une déco apocalyptique sortie d’un Silent Hill. Des murs bleus de Prusse, un parquet brun foncé, mais bien éclairé par une fenêtre bien placée et avec des meubles clairs. C’était plutôt doux comme ambiance, chose qui allait très bien au ténébreux. Et puis, niveau déco, on sentait son côté geek, pop culture avec des posters de séries ou de jeux, un ordinateur portable décoré de stickers geek (et qui prenait la poussière), des livres, des tonnes de livres en tous genres : des comics, des romans, des mangas, des bouquins moins fun sur l’histoire… bref, Dim c’était un gamin plus centré sur la culture que sur le sport et ça se voyait clairement. C’était un musicien aussi, un mélomane. Pour jouer de la guitare et pour faire de la street dance, il fallait avoir l’oreille musicale de toute façon. Il était donc devenu assez facilement ami avec Maxence qui appréciait aussi le doux monde de la musique. D’ailleurs, ce dernier était chez lui et Dim lui apprenait à jouer de la gratte, c’était parfait pour se changer les idées et oublier que la vie n’était plus aussi facile qu’avant, à l’extérieur des murs en tout cas. « Retiens bien cet accord : mi do sol ré, parce qu’avec ça, tu peux jouer mille chansons … enfin j’ai pas compté, mais genre What do you mean ou Sorry de Justin Bieber, Titanium de Guetta, Save tonight, Eagle-Eye Cherry et même…hum Zombie des Cranberries. » Il se gratta l’arrière de la tête un peu gêné… c’était assez ironique de parler de cette chanson… « Enfin de quoi pécho au coin du feu quoi. » Se rattrapa-t-il avec humour, accompagné d'un petit rire.

T’étais là dans cette chambre qui commençait à t’être familière. T’y passais plus de temps, loin de ton groupe d’amis. Et au final, même si tu les aimais comme une famille, ça te faisait du bien. Parce que cette chambre, elle avait quelque chose de réel, pas comme le chaos ambiant qui se trouvait en dehors de ces hauts murs, pas comme ces histoires de zombies. Pas comme tout le reste. Pas comme ton attirance pour Isaak. Rien de tout ça n’a l’air réel. Rien de tout ça n’a l’air véridique. Ici, ça sent l’odeur d’une maison, d’une maison qui vit. L’odeur nauséabonde d’une chambre d’adolescent, sa décoration de mauvais goût, quoique celle de Dim était particulièrement cosy, particulièrement harmonieuse. Au final, toi, ça ne te choquait nullement, Dim était de ce genre de type qui faisait attention aux détails, contrairement à toi, ça se voyait même sur sa personne. Il était bien apprêté pour une journée bien banale, en temps d’apocalypse. Dim, il avait quelque chose de réel dans ce décor-là. Il parlait, il vivait comme si tout ceci dehors n’était rien, comme si tout ceci dehors n’existait pas. Et, c’est ce que tu aimais, toi. Tu aimais cette part de légèreté chez le brun. Tu le voyais là, assis sur son lit, et t’avais l’impression de revenir quelques années en arrière, quand ta mère était toujours vivante. Quand ton plus gros problème était de savoir pourquoi tu louchais sur ces mecs dans la douche en sortant de ce foutu cours d’EPS que tu détestais tant parce qu’il fallait monter à la corde alors que t’as jamais eu de force dans les bras, d’ailleurs, t’as jamais eu de force nulle part toi.

Le contact du bois verni sous tes doigts avait quelque chose d’agréable, le son des cordes à ton oreille même si le son n’était pas toujours juste, presque jamais d’ailleurs quand c’est toi qui les pinçait, venait envelopper ton petit coeur d’une douce sensation que tu n’avais pas ressentit pendant un bon bout de temps. La chaleur de la pièce tout juste éclairer par les rayons du soleil couchant, procurant une lumière tamisée dans la pièce, berçait aussi ta petite âme d’enfant. La voix presque éducative de Dim vint briser ta contemplation des détails de cette scène. Tu voulais garder chaque détail de peur que ce ne soit qu’un rêve. Ton regard vague vint se poser sur sa personne, il était là, te citant des musiques que tu écoutais autrefois, dont tu as si peur de zapper les mélodies, les paroles, et même les choeurs. Tu as même peur d’oublier les choeurs. Tes yeux assombris par la pièce s’éclairèrent d’une étincelle adolescente. “ On peut jouer Zombie de Cranberries avec cet accord là? Tu blagues? Sérieusement… Comment ça fait déjà? “ La guitare glissa sur les cuisses de Dim. “ Prend-là. Et joue. Joue là, s’il te plaît. “ Ta voix se fit presque suppliante au final. Tu voulais qu’il joue. Tu voulais que la musique couvre les nombreuses paroles de la milice qui résonnait à travers la fenêtre entrouverte. “ Joue… “ Tu n’désirais en aucun cas que les événements actuels viennent troubler cette scène.

Avant même que le jeune homme commence, tu tiras de ta poche une feuille de papier chiffonné, là t’avais griffonner un petit truc tard le soir, durant l’une de tes nombreuses insomnies dût au cauchemar que tu faisais, t’avais fouillé un peu partout dans la chambre d’Isaak pour pouvoir y trouver un crayon. Tu le tendais en direction de Dim. “ Tiens pour te remercier de tes cours de guitare. “ Quand il l’ouvrirait, il verrait une esquisse du Joker et de sa petite-amie Harley. “ Prends pas ça pour une déclaration, c’est le seul dont je me rappelais tous les détails…. “ Avouas-tu un peu honteux.

Le moins que l’on puisse dire, c’était que les Cranberries faisaient de l’effet à Maxence… Pourquoi pas Justin Bieber hein ? En vrai, Dim avait conscience qu’il était peut-être l’une des seules personnes encore en vie à aimer écouter du Justin Bieber, il ne pouvait pas reprocher au blond de préférer écouter un groupe mythique des années 90’ qu’un chanteur pour adolescentes en chaleur. Dimitri lâcha un petit rire amusé en entendant sa demande. Maxence aurait pu jouer lui-même, c’était juste quatre petites notes… bon okay il fallait le rythme qui allait avec, mais en soi cette chanson était d’une simplicité déconcertante à jouer. À chanter, c’était autre chose, mais pour un mec, c’était mieux de ne pas forcer les effets comme le faisait Dolores O'Riordan. Le métis attrapa donc la gratte et commença à jouer façon rock, adaptant donc les rythmes des fameux accords à celui de la chanson. Il se permit même le luxe de chanter. De toute façon, Zombie était un titre tellement incontournable qu’il lui était impossible de ne pas connaître les paroles par cœur. Niveau chant, il se débrouillait. Ce n’était clairement pas le gagnant de the Voice 2017 mais, il chantait juste et c’était déjà ça. Tout avait l’air tellement normal là. Comme s’il pouvait soudainement proposer à Maxence d’aller en boîte et de demander à des mecs plus vieux de leur commander des verres … c’était ce qu’il faisait avant pour pouvoir boire malgré son âge. Mais non. Tout ça, c’était fini. Il profitait quand même de ce moment, loin de l’horreur du monde extérieur.

« Et voilà. Et tout ça uniquement avec quatre notes. Enfin tu peux rajouter des fioritures quand tu maîtrises le truc, mais c’est déjà cool comme ça. » Il était enthousiaste. Comme très souvent. C’était rare que le brun fasse la gueule ou ait l’air triste, il était comme ça et si ça pouvait en agacer certains, tant pis pour eux. Il n’allait pas faire la gueule leur faire plaisir. Quoi qu’il en soit, Maxence tendit un papier à Dim. Wow, un dessin ! Le brun se doutait que c’était son ami qui l’avait fait et était assez halluciné par son coup de crayon ! Ça devait être facile de jouer au Pictionary avec lui… Alors que Dim… il était resté au stade du bonhomme bâton et encore, même les bonhommes bâtons craignaient de se faire dessiner par lui. « Merci ! C’est trop classe ! Des persos badass en plus ! » Qu’il lança encore plus enthousiaste que précédemment. Il posa la guitare, attrapa de la pâte collante et fixa le chef-d’œuvre au-dessus du bureau, avec tout un tas d’autres trucs… des places de concert, des photos, des dessins d’autres amis –parfois un peu ridicules– c’était le coin des souvenirs… sans doute un truc de gamin, mais le métis avait toujours fait ça et pouvoir rajouter quelque chose dans les conditions actuelles, c’était vraiment cool pour lui. Il commença ensuite à fouiller dans ses bouquins tout en reprenant la parole. « T’as peur que je crush sur toi ? Lâcha-t-il un peu taquin avant d’être un peu plus sérieux. Tu sais, c’est pas parce que je suis gay que j’ai envie de me faire tous les mecs de la ville… T’as pas envie de te faire toutes les nanas toi quand même. Si ? » Il rit un peu, à nouveau un peu espiègle, mais certainement pas acerbe ou cassant. Ce n’était pas le genre de Dimitri. Il n’avait aucun complexe à parler de sexe ou d’amour, le métis avait la chance de venir d’une famille très ouverte. Il revint finalement avec quelques comics attrapés dans son bordel. « Tiens, si tu veux t’en servir pour t’inspirer je te les prête. » Il avait du Miss Marvel, Deadly Class, Avengers, Bat Girl… Il devait en avoir plein d’autres au grenier… Dimitri était loin d’avoir été un garçon malheureux ou lésé, la chance d’être fils unique sans doute.

Ce n’était pas vraiment que tu n’aimais pas Justin Bieber, mais c’est le genre de choses que tu n’avouais pas. Tu ne t’étais jamais trimballé à la faculté de psychologie avec “ Baby “ de Justin Bieber dans les oreilles à fond. Non. De peur peut-être qu’on te juge. Qu’on te traîte de “ pédale “. C’était l’une de tes plus grandes peurs au final. Une peur enfouie en toi, une peur que tu ne déclareras pas devant tout le monde, ça apporterait des doutes sur ta sexualité. Et, ce n’est aucunement ton envie. Il y avait pleins d’artistes comme ça que tu cachais honteusement dans une partie de ta playlist. Zara Larsson, par exemple. Même si t’étais un peu du genre à écouter tout style de musique, ça ne te plaisait pas qu’on apprenne que tu écoutes des artistes, un peu girl power. La dernière fois que quelqu’un l’avait remarqué, au temps du lycée, tu avais trouver la bonne excuse d’avoir une grande soeur. Non, mais c’est pas moi qu’écoute, c’est Leïla, on a échangé nos portables pendant un temps, et j’ai pas eu le temps de tout effacer encore. Le mensonge ce n’était pas ton truc à toi. Mais, tu t’en été plutôt bien tiré cette fois-ci. Alors l’avouer devant Dim était encore peut-être un peu tôt. Peut-être plus tard. Dim, c’était le style de gars, qui t’inspirait. Il assumait totalement qui il était. Tu ne comprenais vraiment pas comment il faisait. Comment, il avait autant de facilité à être lui-même, sans se soucier du regard des autres. La guitare glissant sur ses genoux, Dim attrapait la feuille amoché par l’aventure qu’elle avait vécu dans ta poche, il l’ouvre avec délicatesse comme pour ne pas l’arracher d’avantage. Et là, c’est son visage qui s’illumine. Réel. C’est réel. Réel comme avant. Et t’aimes ça. T’aimes la manière dont ton ami répond à chaque petite chose de la vie.


.“ Aussi badass que nous l’ami. “ T’avais lâché ça en le bousculant légèrement de ton épaule, avec un de ses regards complices qui enveloppaient les gens d’une boule de confort. Tu savais au fond que c’était faux. Tu savais que le Joker était un personnage que t’admirais pour sa folie constante. Il ouvrait les vannes, lui. Il n’avait pas peur d’être qui il était. Bien sûr, ce n’était pas un modèle à prendre, c’était carrément un fou allié. Mais t’étais faciné par son caractère. Réellement. La psychologie ça te connaissait toi.. “ Tu fais Harley, j’fais le Joker, quand même. Tu serais pas mal en blondinette, Dim. “ Tu laissas un rire effleurer le bout de tes lèvres et envahir la pièce, pendant quelques secondes, tu te figeas. Tu n’avais plus l’habitude d’entendre ce son là. Surtout venant de toi. C’était comme sorti d’une autre époque. Sorti d’un autre Maxence. Un Maxence différent. Un Maxence d’une autre planète, d’une autre décennie.. “ Les filles? Ouais, non. Pas en ce moment, enfin tu vois le truc. L’apocalypse et tout le bordel. “ Tu pinçais tes deux lèvres l’une contre l’autre, créant une ligne blanchâtre à leurs places. Tu parlais de l’Apocalyspe, comme on parlait des courses. Du lycée. D’un ton léger. D’un ton faussement léger. Quelque chose qui ne te ressemblait pas. Tu avais eu l’habitude de trembler à chaque fois qu’on parlait de ça. Mais là, c’était différent. Très différent. Une offrande, un cadeau. Un sourire sur tes fines lèvres de petit blondinet, une excitation d’enfant devant ces comics. Voilà, une nouvelle fois pourquoi tu adorais te trouver dans la même pièce que Dimitri. Il était réel, lui. Tu attrapais les multiples comics dans tes mains et les feuilletaient. Les couleurs, le coup de crayon des illustrateurs. Les p’tites bulles. Tout était réel.. “ Et toi alors puisqu’on parlait de filles, t’as quelqu’un ici? Un petit mec à te mettre sous la dent? “ .

Badass, ce n’était pas le mot que le métis aurait choisi pour parler de lui-même. Il était tout sauf badass. Et au fond, il préférait laisser ça aux autres. Lui, il était du genre à se planquer au café et chez lui, pas question de sortir, d’affronter les zombies et le monde extérieur. Si un jour Lafayette tombait, c’était sûr qu’il serait dans les premiers à crever comme une merde. Et lui en blonde ? Avec son teint métissé, il aurait l’air d’une kogaru asiatique. Il pouffa de rire en imaginant le truc. « Harley et Joker ont une relation malsaine tu sais, il rit avec un peu d’espièglerie. Et j’ai pas assez de boobs ! » Qu’il rétorqua tout de même en guise d’excuse. Il aimait les filles de comics actuels, elles étaient fortes et généralement, représentative d’une époque qui tendait à l’acceptation et l’égalité entre les gens. On ne pouvait pas lutter contre le côté glamour qui servait à vendre un idéal, personne ne voulait lire une BD avec des personnages « moches » ou plutôt « banals » donc ouais, même si elles avaient des poitrines de ouf, des tailles trop fines pour avoir des intestins ou des tenues sexy, elles bottaient des culs aussi bien que leur pendant masculin. Ça ne le gênait pas d’avoir le rôle d’Harley Quinn… même si honnêtement, une relation comme celle d'Harley et du Joker, il s’en passerait bien. Il n’était pas maso pour ça. Il haussa les épaules lorsque Maxence évoqua l’apocalypse comme excuse pour ne pas se mouiller avec les filles. Apocalypse ou pas, les gens avaient quand même des besoins des attirances.

« Bah…c’est pas vraiment un petit mec… c’est plutôt un vieux badass… mais dans le genre canon et viril, y a du level… dans le genre hétéro aussi. » Il haussa les épaules. Il avait bien conscience que c’était complètement débile de fantasmer sur un homme de trente ans de plus que lui et qui était intéressée par les nanas… « Déguisé en Harley et sur un malentendu, ça pourrait passer. » Il pouffa de rire. Pauvre Otto, il devait avoir les oreilles qui sifflaient tandis que le brun parlait de lui comme ça. Pourquoi avait-il fallu qu’il s’entiche de ce genre d’homme ? Enfin, ça n’avait rien d’étonnant, il était beau, grand, fort, protecteur… il devait avoir du succès auprès des femmes de la ville… « J’ai des cousines canons moi ! Enfin je sais pas si j’ai envie qu’un mec leur tourne autour… du moins pas en mode predator. » Il rit à nouveau. Olivia était dispo, non ? C’était une belle femme. Vraiment. En fait toutes ses cousines étaient hypers mignonnes en toute objectivité. « Franchement, c’est pas parce que c’est l’apocalypse qu’il faut rester seul… aussi bien sexuellement qu’amoureusement… après tout, l’amour c’est une très bonne motivation pour rester en vie je crois. Donc, c’est pas une excuse. Doit bien y avoir quelqu’un que tu trouves pas mal. Genre Murphy ? Elle est mignonne non ? » Parler des filles, de musique, de bande dessiner… c’était des discussions tellement normales. C’était vital pour ne pas péter un câble dans le contexte actuel. Et si c’était aussi facile pour le métis, c’était tout simplement qu’il n’avait que très peu de zombies, il voyait très peu la réalité des choses. Il n’avait pas eu à sortir et se battre pour survivre. Bien sûr qu’il avait conscience de la situation, mais protégé par les murs, il n’avait rien d’un survivant.